Nos pères ont pris sur eux après notre arrivée Même s'ils s'en défendaient, même s'ils acceptaient Ils nous ont vu finir à leur place le repas Certains ont su en rire, d'autres n'y arrivaient pas Nos pères nous en voulaient même ceux qui ne voulaient pas Nous rendre responsables et même ceux qui pensaient Après coup qu'ils avaient longtemps voulu qu'on soit Un jour à cette table à finir le repas Leurs femmes nous trimbalaient, nous crochetaient le bras Clignant des yeux d'amour pour qu'on ne les oublie pas Comme si c'était possible d'oublier ces yeux-là Ces lèvres au bord du vide qui s'écrasaient sur nous Ces lèvres que nos pères n'atteignaient que de loin Depuis qu'on était là, depuis qu'on faisait tout Pour leur prendre une à une les choses de la main Avec cet alibi de n'y rien voir du tout Nos pères n'ont jamais su nous détester vraiment Attachés par amour à tout nous pardonner Et même quand c'était trop, qu'on était trop présent Ils ne luttaient pas trop avant de s'effacer Et à tant s'effacer nos pères ont disparu Et quand on a compris on a regardé la terre Qui ne recracherait rien, on a regardé nos mères Qu'on avait jamais vues si éloignées de nous On les a regardées peinant à évoquer Ces hommes tels qu'ils étaient avant notre arrivée Avant qu'ils ne s'assoient pour mieux nous reconnaître Pour bien nous regarder avant de disparaître